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[Jazz Magazine n°407]

Septembre 1991

N° 407


Sommaire / Interview / Disques du Mois

Nelly POUGET

Sommaire

34    NELLY POUGET OU LE SAX FORT

Entourée de Sunny Murray, Siegfried Kessler et Tony Overwater, une saxophoniste est née - phonographiquement. Interview.


Interview

NELLY POUGET:
LES SONS POUR " LE DIRE "

 

Arthur Doyle, Michel Graillier, Steve Lacy et, pour son premier disque, Siegfried Kessler et Sunny Murray: au-delà de ces " références ", il faut écouter ce que dit et joue Nelly Pouget.

"  Je suis née en 1955 à Dijon. J'ai commencé le saxophone avec Jean-Marie Londeix au conservatoire de Dijon, puis je suis entrée aux Beaux-Arts et j'ai donné dans le théâtre pour enfants — décor, musique, etc. Je suis allée deux ans en Afrique, et à mon retour, à Paris, j'ai repris le saxophone. J'ai alors multiplié les expériences. A l'époque, on travaillait le mouvement, la voix, l'espace... J'ai approfondi certaines recherches sur la matière, je me suis mise à fabriquer des instruments et à encadrer des enfants. C'est seulement à partir de 1982 que j'ai vraiment évolué vers le jazz. J'ai eu des entretiens avec Steve Lacy, de longues discussions — ça m'arrive encore aujourd'hui. J'ai un peu travaillé avec Yochk'o Seffer... Et avec Arthur Doyle. Ça m'a été très profitable.

Nous avons joué ensemble, deux saxophones et une batterie, à l'institut Pierre et Marie Curie, par exemple, et nous avons souvent, chez moi, travaillé en duo. Arthur Doyle a un rapport fabuleux à l'instrument. Un peu comme John Tchicai. Quand ils jouent, le son " déborde " de l'instrument, une partie de leurs tripes passe dans le saxophone. J'ai aussi travaillé un temps avec Takami Fujimoto, avec Frédéric Firmin, avec Michel Paquie...
J'ai monté un trio avec lequel j'ai tourné dans le sud de la France. Ensuite il y a eu un quartette, et l'an dernier en mai ont commencé les interventions en solo — notamment à la fête de la musique, où j'ai joué sur les podium Sncf, à Montparnasse, à Saint-Lazare — là j'ai eu l'occasion de m'associer à Michel Graillier. J'ai beaucoup aimé cette rencontre, Michel est un musicien très ouvert. Finalement, j'ai form&eacut; un quartete et enregistré mon premier disque, " Le Dire ".
Ce disque, j'en avais envie depuis 1987. Le premier producteur qui s'était intéressé au projet n'a pas tenu la route — tout a été annulé le jour de l'enregistrement — et comme les compagnies françaises font toujours attendre leur réponse quand il s'agit d'un premier disque, j'ai perdu des années à attendre. J'ai fini par m'autoproduire. J'ai entamé les démarches en décembre 1989 et enregistré en janvier 91. Il m'a fallu créer une structure, trouver des " sponsors "... Une première aide m'est venue de la SNCF, d'une personne qui a eu confiance en moi. Ensuite il y a eu la Spedidam et l'EDF — grâce au comité d'entreprise avec lequel je travaillais depuis un an et demi. Et enfin l'Adami. Il n'est pas impossible que la Sacem fasse aussi un geste, après coup. Dans ce cas, j'utiliserai l'argent pour des cassettes ou des spectacles vivants.
Il m'a fallu ensuite trouver une date convenant à tous les musiciens. Je devais avoir Jean-François Jenny-Clark à la basse. J'ai retardé l'enregistrement de six mois pour lui. Hélas, au moment d'entrer en studio, il était très malade. J'ai trouvé un remplaçant, Tony Overwater, qui joue régulièrement avec Sunny Murray. Il s'est tout de suite adapté. J'avais prévu trois jours d'enregistrement : tout s'est fait en une journée. Ce ne sont que des premières prises, sans l'ombre d'un " bidouillage " a posteriori. Deux jours avant l'enregistrement, la guerre a éclaté dans le Golfe. Nous étions tous — Sunny Murray, Siegfried Kessler, Tony et moi — dans un état second, on ne dormait pas, on écoutait les infos en permanence. Finalement, l'enregistrement a été une sorte de break, mais il y avait une forte tension pendant toute la séance. J'ai choisi d'intituler ce disque " Le Dire " simplement parce qu'il y a longtemps que j'ai des choses à dire, et qu'il a été vraiment très dur de le faire.
J'aimerais que la formation de ce disque existe aussi en tant que groupe. De toute façon je travaillerai avec Siegfried. Mais avant de faire venir Tony et Sunny, il me faut trouver des engagements solides ! Sinon, j'ai envie d'aller vers une musique de plus en plus ouverte, de rester à l'écart du conventionnel. On entends si rarement des choses inattendues dans les clubs parisiens...  "

Propos recueillis par Christian Gauffre.

 


Disques du Mois

[Jazz Magazine n°407 disques du mois]

Nelly Pouget

Le Dire. Minuit Regards FH17282. Nelly Pouget (ts, ss), Siegfried Kessler (p), Tony Overwater (b), Sunny Murray (dm).

On ne se trompera guère sur le mot d'ordre que Nelly Pouget a choisi de donner à son dernier disque :
" Le Dire " est un mot d'ordre poétique et l'univers musical où s'installe d'emblée Nelly Pouget s'apparente à cette folie de la poésie qu'a été la pointe incandescente du Surréalisme. Ce n'est pas gratuitement que je fais ce rapprochement : par la concentration, par la densité de son jeu et de ses images, elle remagnétise la musique ; elle redonne à l'objet sonore son aura mystique et sa profondeur révélatrice. À cette altitude, on rencontre un Sunny Murray dans une effervescence au bord de la transe, un Siegfried Kessler aux ruptures inspirées et contagieuses, le surgissement tantôt lyrique tantôt incisif d'un Overwater. On comprend alors que la musique devient un moyen de sortie, un moyen de briser des limites : il suffit de lire le titre des morceaux. En écoutant ce disque, on reconnait cet esprit d'aventure " au delà de toutes les aventures " dont a parlé un certain André Breton.

Lucien GIRAUDO